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La place des émotions dans l’entreprise (Mars 2014)

L’être humain, qu’il soit homme ou femme, est en permanence soumis à des pensées (pas toujours de l’ordre du rationnel) et à des émotions (plus ou moins contrôlées). Ces pensées et ces émotions déterminent notre comportement (le para verbal et le non verbal), observable par les autres. Ceux-ci vont ainsi se baser sur ces observations pour déterminer (ou deviner ?) les pensées ou les émotions qui nous habitent.

Le monde de l’entreprise, où il est rarement « politiquement correct » d’exprimer ouvertement ses émotions, est souvent le lieu où ces interprétations vont s’opérer, sources parfois de malentendus. Est-ce à dire qu’il faut toujours privilégier la verbalisation de l’émotion que l’on ressent, ou des pensées qui nous assaillent ?

Avant de répondre à cette question de la gestion des émotions dans l’entreprise, nous allons dans un premier temps examiner le mécanisme des émotions.

 

LE MECANISME DES EMOTIONS

Les quatre émotions de base

Eric Berne, créateur de l’Analyse Transactionnelle, met en lumière l’existence de quatre émotions de base, présentes dès la petite enfance, d’où se déclinent toutes les autres émotions : il s’agit de la joie, la tristesse, la peur et la colère.
Le nourrisson n’ayant pas encore mis en place de mécanismes (cela viendra généralement plus tard) pour camoufler ou transformer les émotions qu’il ressent, il exprime directement son ressenti, dans l’ici et maintenant : il sourit quand il se sent bien (joie), il pleure si son doudou disparaît (tristesse), il crie s’il entend un grand bruit (peur), il hurle s’il n’obtient pas son lait (colère).
Ces émotions exprimées sans détour sont dénommées également « émotions authentiques ». Elles sont toutes les quatre engendrées par une cause (un stimulus) qui crée un besoin appelant une réponse, tel qu’indiqué dans ce tableau :

 

JOIE

TRISTESSE

PEUR

COLERE

Cause

Bien-être

Perte

Danger

Insatisfaction d’un besoin essentiel

Besoin

Partager

Etre consolé

Etre rassuré

Etre entendu

Le propre de l’émotion authentique est qu’elle suit le circuit suivant : stimulus – montée physiologique émotionnelle – décharge émotionnelle – retour à l’homéostasie ; c’est-à-dire que, une fois exprimée, la personne revient à son état d’origine, ce qui n’est pas le cas pour les émotions racket que nous allons aborder maintenant.

Les émotions racket ou parasite

L’enfant grandissant, sous la pression de son environnement et notamment de ses parents, l’expression de certaines émotions va être privilégiée, alors que d’autres risquent d’être bannies. Ce « façonnage » est, bien entendu, très variable selon les familles, les cultures, le pays, l’époque, le sexe de l’enfant, etc. A titre d’exemple, qui n’a pas entendu il y a quelques années (et peut-être encore aujourd’hui) : « Un garçon, ça ne pleure pas ! » Cette réflexion, répétée maintes et maintes fois, risque d’être « introjectée », c’est-à-dire assimilée, par l’enfant qui ne s’autorisera plus les pleurs lorsqu’il sera triste. Il va alors tester autre chose : un coup de pied, par exemple ? Petit à petit, dans ce cas de figure, une fausse émotion (la colère) va se substituer à l’émotion de base (la tristesse) : l’émotion racket, ou parasite, est ainsi née.

Ce mécanisme est bien sûr valable pour toutes les émotions et dans tous les sens, selon les individus. C’est ainsi que nous pouvons rencontrer des personnes qui ont l’air tristes alors qu’elles sont en colère, ou qui n’osent tout simplement pas exprimer leur joie (« ça ne se fait pas de montrer son bonheur ! »).

Comme on l’a vu plus haut, l’émotion authentique est apaisée dès lors que le besoin qu’elle exprime a obtenu une réponse ; au contraire, il est beaucoup plus compliqué  de faire face à l’émotion racket : ainsi, on observe parfois des personnes exprimer « en boucle » le même type d’émotions, quelle que soit la réalité de la situation concernée, et les réponses que l’on leur apporte. Nous verrons plus bas à quel point ce phénomène peut compliquer les relations en entreprise.

Les émotions stockées ou timbres

Il nous arrive donc parfois de ne pas exprimer certaines émotions authentiques, pour les raisons que nous avons développées plus haut à travers le mécanisme de l’émotion racket, ou tout simplement parce qu’elles ne nous apparaissent pas socialement acceptables. Ces émotions refoulées ne disparaissent pas pour autant : elles sont enfouies au plus profond de nous-mêmes, « stockées » ou « collectionnées » comme des timbres, à notre insu.

Imaginons par exemple que l’émotion de colère soit celle qui est refoulée : ce phénomène se produira plusieurs fois et pourra durer très longtemps, des années parfois. Mais un jour, face à un évènement qui, pour l’entourage, pourra paraître anodin, la personne va littéralement « craquer », suivant l’expression populaire de « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». La manifestation de l’émotion stockée est alors démultipliée, dans des proportions qui n’auront aucune commune mesure avec la manifestation « normale » de l’émotion de base : cette expression disproportionnée est nommée « la liquidation ». Elle peut être évitée en « décollant les timbres », c’est-à-dire en exprimant les émotions lorsqu’elles se présentent.

 

LES EMOTIONS DANS L’ENTREPRISE

Ayant examiné le mécanisme des émotions de manière générale, qu’en est-il au sein de l’entreprise ?

Les émotions acceptées, les émotions non acceptées

La plupart du temps, certaines émotions peuvent être exprimées quasiment librement dans l’entreprise, d’autres non.
La joie, par exemple, est en général acceptée, à condition qu’elle ne soit pas trop démonstrative : un salarié qui exprime son plaisir parce qu’un événement heureux vient de lui arriver (la naissance d’un enfant, par exemple), pourra partager facilement sa joie autour de lui. Si la raison en est une réussite importante dans l’atteinte de ses objectifs, les choses sont plus nuancées et certains iront même jusqu’à cacher leur plaisir de peur de s’attirer des jalousies.
La colère, elle aussi, est traitée de manière variable : qui ne connaît un éternel « râleur », toujours agacé par telle ou telle situation (des embouteillages au photocopieur en panne, en passant par les clients !). A condition, une fois encore, qu’elle ne s’exprime pas de manière trop violente, cette émotion est, en général, plutôt acceptée. Cette expression de la colère doit être, quoi qu’il en soit, considérée comme un élément sécurisant pour la personne qui l’exprime, car elle s’adapte ainsi à ce que lui permet son environnement. En effet, les personnes qui l’entourent vont peut-être se rallier, par un phénomène d’identification, à celui qu’ils vont considérer comme le « véhicule du mécontentement ». Peut-être aussi va-t-on envier celui qui exprime ce que d’autres n’osent pas dire, quitte à le lâcher si les événements tournent autrement ?
Il en est différemment pour la tristesse et pour la peur : les pleurs et l’expression de la crainte mettent en général les autres mal à l’aise ; il est donc assez fréquent que l’expression de ces émotions soit bannie au sein de l’entreprise. En période de crise économique, notamment, l’émotion de tristesse (le risque de perte des relations sociales apportées par le travail) et celle de peur (le risque du chômage et des conséquences financières en découlant) sont parfois transformées en émotion de colère (un climat social tendu). Les émotions authentiques n’en disparaissent par pour autant, selon le mécanisme des « timbres » décrit plus haut : le risque d’une « liquidation » disproportionnée est latent.

Les rackets dans l’entreprise

A préalable, il peut être intéressant pour un manager de se poser la question : quelles émotions me sens-je en droit d’exprimer, quelles émotions accepté-je facilement chez les autres (en utilisant par exemple la grille ci-dessous) ?

Je manifeste facilement

J’accueille facilement

JOIE

Contexte :

Contexte :

Avec   qui ?

Avec   qui ?

TRISTESSE

Contexte :

Contexte :

Avec   qui ?

Avec   qui ?

COLERE

Contexte :

Contexte :

Avec   qui ?

Avec   qui ?

PEUR

Contexte :

Contexte :

Avec   qui ?

Avec   qui ?

Ce type d’analyse permet de mettre en lumière ses propres émotions racket, qui sont probablement celles qui s’expriment le plus facilement, surtout si l’une ou plusieurs autres émotions sont absentes de la « palette » d’expression.
Puis, la démarche peut être dupliquée vis-à-vis de ses collaborateurs, afin de repérer les attitudes ou comportements directement issus de leurs émotions racket. Ce repérage est au cœur de ce que Daniel Coleman appelle l’intelligence émotionnelle, qualité qu’il met en avant pour les managers.
L’avantage de cette démarche réside dans le fait que l’on va identifier, puis tenter d’éviter, les comportements racket, fréquents en entreprise lorsque l’émotion authentique ne peut être exprimée, qui vont faire que la personne en vient à manipuler son environnement pour qu’il réponde à ses émotions déguisées. Les attitudes récurrentes et inappropriées en sont les signaux.

Que-faire avec les émotions ?

Il ne s’agit bien sûr pas de transformer l’entreprise en un lieu de thérapie individuelle ou collective. Cependant, on l’a vu plus haut, les émotions habitent l’être humain au même titre que les pensées ou les comportements qu’il met en œuvre.
Il est donc important d’apprendre à accueillir l’émotion, chez soi-même et chez les autres, puisqu’elle fait partie intégrante de nous-mêmes, en la reconnaissant, en l’acceptant, en l’exprimant le plus précisément possible (éventuellement en dehors de l’entreprise).
Le rôle du manager est ainsi de donner un espace pour l’expression des émotions, par exemple en proposant un lieu ou un moment où le collaborateur aura la possibilité de s’exprimer. Il convient, bien entendu, de rester dans un contexte socialement acceptable, afin de ne pas choquer son environnement : le choix du lieu (permettant une certaine confidentialité), du moment (pour pouvoir exprimer des choses importantes, mieux vaut ne pas être préoccupé par ailleurs).
Mais pour que cela fonctionne au mieux, c’est au manager de se positionner en « modèle », en osant lui aussi exprimer ce qui le « touche ». En effet, le manager est observé par ses collaborateurs, qui le « modélisent » en quelque sorte. S’il montre qu’il est connecté à ses émotions, il donnera la permission à ses collaborateurs de l’être également. Attention cependant de ne pas attendre en retour une prise en charge de la part de ses collaborateurs, afin de limiter la contagion affective qui pourrait en résulter.

 

 

Références :

« Que dites-vous après avoir dit bonjour ? » – Dr Eric Berne – Editions Tchou
«  Le Triple Moi » – Gysa Jaoui – Editions Robert Laffont
« L’analyse transactionnelle » – Alain Cardon, Vincent Lenhardt, Pierre Nicolas – Editions d’organisation
«  Faire face aux émotions » – Christine Chevalier – InterEditions

 

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