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Management de la diversité : la formation – 1ère Partie (Novembre 2014)

En France, on peut situer au début des années 2000 l’émergence de la catégorie managériale de la diversité dans le monde des entreprises. On s’accorde aujourd’hui pour dire qu’un des enjeux de la gestion de la diversité en entreprise est d’instituer, entre des partenaires différents, un « coopérer ensemble » qui ne se décrète pas et puisse échapper aux simples évidences ou au mépris. Or, la diversité, réalité observable qui traduirait le fait que rien n’existe exactement à l’identique dans la nature, n’est pas l’égalité. Et nous savons qu’il y a bien, dans les créations humaines, différentes façons de rendre la justice : à chacun la même chose, à chacun selon ses mérites, à chacun selon son rang, à chacun selon ses besoins, à chacun selon ses œuvres, à chacun selon ce que la loi lui attribue…

Souvent confusément, on ne différencie pas, en entreprise, les métiers du champ de l’interculturel (propres plutôt à la gestion des expatriés, à la négociation commerciale, aux équipes-projets en plusieurs pays…) des métiers du domaine de la lutte contre les discriminations (propres au droit du travail ou au droit des sociétés) et de ceux liés au champ de la gestion de la diversité (propres davantage au management des équipes et au déploiement d’un certain nombre d’outils de mesure et de pilotage supposés utiles et fréquemment portés par des « responsables diversité »). Or, répétons-le, les pratiques de gestion de la diversité, d’inspiration libérale et acclimatées en France à partir de sources anglo-saxonnes (« diversity management »), ne garantissent pas forcément qu’un système social soit juste. Elles peuvent même conduire à légitimer des actions litigieuses sous couvert de bonnes intentions, de chartes, d’un label «diversité » ou d’actions de sensibilisation se limitant à de simples effets d’affichage. Elles ne peuvent, selon nous, faire l’économie des deux autres niveaux d’action que sont la lutte contre les discriminations et le management interculturel quand on traite de la coopération et des logiques d’action en contexte multiculturel de travail.

Dans cette perspective, notre lettre vise à questionner la formation comme levier de transformation des mentalités en entreprise (LANDIS D., BENNETT J. M. ET BENNETT M. J. 2004) permettant de dépasser, dans les rapports de travail, les dangers d’un simple « affichage » et d’un travail de mise en forme rhétorique autour du terme plastique et flou de diversité. Comment construire et animer un dispositif de formation d’adultes visant à améliorer la compétitivité et la performance de l’entreprise en capitalisant sur les différences entre les personnes, leurs styles d’interaction et leurs mode de pensées ainsi que sur la pluralité de l’organisation (par ses implantations, ses métiers, ses cultures) ? En quoi des actions de formation des adultes en entreprise reconnaissant certaines « différences » entre des individus (par ailleurs liés ou non à une appartenance à des groupes protégés par le droit) pourraient-elles contribuer à la performance de l’entreprise sans se réduire à de pernicieux effets d’annonces liés à la catégorie managériale de la diversité qui, répétons-le, nous paraît vide de toute valeur réellement normative ?

Sur le plan méthodologique, nous revendiquons de pouvoir nous fonder sur une synthèse d’expériences et de travaux dans les champs dits de la gestion de la diversité et du management interculturel sans nous inscrire nécessairement ici dans la perspective classique d’une analyse d’une revue de littérature débouchant, après la clarification d’une méthodologie, sur des résultats et une discussion. Nous sommes convaincus que la formation peut jouer un rôle majeur dans la transformation des attitudes xénophobes, sexistes ou racistes, face à la mise à l’écart de personnes handicapées, face aux attitudes de rejet entre générations différentes, à l’absence de transmission entre membres différents d’une même équipe ou d’un même métier. Ce sont plutôt les principes d’une possible démarche de formation et ce qui la fonde qui sont détaillés ici (avec la réunion des trois domaines d’action différents, parfois complémentaires, de la lutte contre les discriminations, de la gestion de la diversité et du management interculturel). Et non certaines modalités pratiques (mises en situation, études de cas ou méthodes introspectives, troupe de théâtre chargée de la sensibilisation aux différences…), certes mentionnées à l’occasion, mais qui ne s’inscrivent pas, dans la présente contribution, dans une structure systématique qui présenterait la démarche de formation avec pour chaque étape, les objectifs de la phase, les principes fondamentaux, le public ciblé, les méthodes pédagogiques.

A l’instar des entreprises du seul secteur privé, des écoles et des hôpitaux, des services publics, exposés également à un « management » de la diversité, sensibilisent aujourd’hui leurs professeurs ou médecins, et plus largement leurs salariés, dont le personnel d’accueil, à la diversité croissante de leurs usagers. Conscients qu’une loi qui est la même pour tous, appliquée à des individus placés eux dans des situations différentes, peut générer et renforcer des inégalités, les dirigeants de ces institutions organisent leurs équipes ou leur temps de travail en tenant compte de la diversité, accordent des congés pour permettre à ceux qui le souhaitent de faire un pèlerinage à Lourdes ou à la Mecque, créent des services de médiation culturelle… Toutefois, nous faisons l’hypothèse que les actions de ces institutions, et particulièrement dans le domaine de la formation, sont véritablement transformatrices lorsqu’elles permettent à ceux qui en bénéficient, de remettre en question ce qu’ils considéraient auparavant comme «allant de soi», de relativiser leurs perceptions de la réalité ou représentations mentales. Dans ces conditions, les salariés et personnes formées deviennent davantage capables de repenser le sens commun qui rassure généralement les membres d’une même culture (nationale ou professionnelle), en même temps qu’il les distingue ou les éloigne de ceux des autres. C’est là, selon nous, l’intérêt de lier ces actions à la discipline du management interculturel.

Cinq phases clés nous paraissent à repérer au cœur d’un processus de formation à « l’intelligence de l’autre » et de mise en œuvre d’un management efficient des individus et des équipes diversifiées en contextes multiculturels (DAMERON S. ET JOFFRE O. 2007). Ce processus doit d’abord permettre aux personnes formées de passer outre des attitudes et pratiques liées à la « peur du gendarme » (posture « défensive » qui se cantonne à la stricte conformité vis-à-vis de la loi ou à la seule prévention des risques de détérioration d’image de l’entreprise). Ce processus visera ensuite, au-delà des effets d’affichage ou de la fascination pour l’appareil statistique de certaines approches en matière de formation et de gestion de la diversité, un engagement proactif des entreprises dans des politiques et pratiques favorisant l’échange d’expériences, l’apprentissage mutuel et l’innovation au sein d’équipes diversifiées et réellement « apprenantes ».

Les lignes suivantes visent à décrire ces cinq phases :

  • Dans une première phase, l’action de formation permet de prendre conscience de la part des conventions inutiles (préjugés, stéréotypes…), de relativiser ou remettre en cause leurs places dans nos critères d’évaluation, d’évoluer vers une mesure plus objective ou distanciée de leurs effets sur les relations de travail, la performance des individus ou des équipes concernées.
  • Une deuxième phase du processus consiste à savoir mieux cerner, d’un point de vue juridique, les discriminations autour de soi, dans l’atelier ou le bureau où l’on travaille, à savoir les « nommer » correctement et en faire la preuve afin de trouver les meilleures armes pour les combattre.
  • Une troisième phase vise à acquérir des connaissances et des compétences nécessaires pour élaborer des indicateurs pertinents de mesure de progrès et construire des tableaux de bord qui ne se limitent pas au simple constat des états de la diversité ou des seuls effets de celle-ci.
  • Directement en lien pour nous avec le management interculturel, une quatrième phase de formation porte sur le développement des capacités à clarifier ou à faire clarifier les principes d’une « gestion juste » de la diversité notamment lorsque l’on est amené à évaluer et sanctionner des actions ou des comportements des individus différents de par leurs cultures, leur âge ou leur sexe… A ce stade, on intègre le fait qu’aucune personne n’est figée dans telle ou telle caractéristique généralement attribuée à sa génération, « sa » ou « ses » cultures professionnelles ou d’origine… Tout recours utile ici à la notion de culture commence par la critique raisonnée de celle-ci, en ayant pleinement conscience du processus d’altération permanente ou de reconstruction culturelle chez toute personne humaine dans un contexte particulier de vie ou de travail.
  • Au-delà de cette intelligence culturelle de la relation aux autres, considérés dans leurs différences, une cinquième phase de développement des compétences interculturelles renvoie à la capacité à exprimer, vivre et faire vivre des espaces de reconnaissance aux autres. Cette capacité se fonde sur des espaces de discussion argumentative, de « confrontation positive et démocratique des différences culturelles » (MUTABAZI E. 1999) de capacité à combiner leurs apports pour traiter un problème concret, professionnel ou social. Il s’agit à ce stade, d’être réellement capable de privilégier ce qui rassemble et enrichit mutuellement sans pour autant céder à « un imaginaire leurrant » (ENRIQUEZ E. 1992), ni dépolitiser les échanges en écartant les partenaires sociaux, ni s’enliser dans des incantations de ceux qui autoproclament leurs entreprises « grandes familles » ou « communautés socialement responsables ».

Nos prochaines lettres détailleront concrètement chacune de ces phases.

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