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Management de la diversité : la formation – 2ème Partie (Décembre 2014)

Notre lettre précédente définissait les concepts généraux liés au thème de la diversité en particulier sous l’axe formation. Ainsi, nous avons défini cinq phases majeures destinées à fonder le processus applicatif. Nous décrirons précisément ci-après les deux premières d’entre elles

PREMIERE ET DEUXIEME PHASES : COMPRENDRE LES PROCEESSUS DISCRIMINATOIRES ET APPLIQUER LES LEGISLATIONS EN VIGUEUR

A ce premier niveau, l’objectif central est de former à l’identification et la connaissance des mécanismes au cœur d’un processus discriminatoire et de permettre aux personnes formées d’acquérir les moyens de sa résolution sur la base de la loi. Se former revient à acquérir un cadre permettant de voir, de diagnostiquer et bien comprendre la situation où se déroulent la discrimination, sa fréquence et ses effets sur les attitudes et comportements de l’individu concerné voire sur l’ensemble du groupe de ceux avec lesquels il travaille (comme le fait discriminatoire de faire passer un test de langue lors d’un entretien d’embauche, même si aucune connaissance linguistique n’est nécessaire pour tenir la fonction concernée). Pour être capable d’agir, de prendre de bonnes décisions et les mettre en œuvre, la personne formée doit sortir du simple constat ou du repérage d’une discrimination. Une fois créées les conditions d’un « voir-çà » (la discrimination), il reste à en faire un « ça-voir » » c’est- à-dire que pour les managers, les compétences à développer sont évidemment d’abord de nature juridique (connaître la portée des textes de lois en situation et identifier la dimension délictueuse de la discrimination) mais aussi de faire naître, partager et faire partager une norme d’action qui corrige, répare ou aide à sanctionner. Ce « ça-voir » est à entendre pour nous comme une des compétences à acquérir pour comprendre en quoi les stéréotypes, leur récurrence et modes d’actions, finissent par acquérir un pouvoir ou un statut d’explication des troubles relationnels, des difficultés à coopérer, des dysfonctionnements organisationnels observés. Savoir en quoi ces mécanismes deviennent in fine, une valeur prédictive de l’échec des individus, des équipes ou des services concernés par les discriminations.

Si la conduite de l’autre diffère de la mienne, et que je n’en suis pas conscient, ou que je suis incapable de « nommer » cette différence, j’ai toute chance de réagir de manière émotionnelle et stéréotypée. A la racine des politiques de lutte contre les discriminations, il y a bien le constat de la persistance d’une discrimination structurelle, enracinée dans les mœurs, longtemps après son inscription dans les textes de loi (Dechavanne E. 2007). L’objectif est de cesser de considérer les mécanismes d’exclusion comme naturels alors que ceux-ci plongent leurs racines dans l’inconscient comme la domination masculine qui se propage et se perpétue dans une organisation. L’organisation peut discriminer sans que personne ne le veuille « vraiment » et former en ces domaines revient à dire que la discrimination existe et qu’elle peut exister sans que l’on cherche même à l’encourager. Ceci nous amène à souligner qu’une formation réussie, en matière de lutte contre les discriminations, remet en cause certains ordres et privilèges établis, questionne des valeurs et croyances implicites sur lesquelles reposaient jusqu’à présent les processus productifs d’une entreprise [comment, par exemple, réduire l’autocensure exprimée par les femmes pour l’accession à des postes de responsabilité ? Comment faire évoluer le modèle dominant de leadership (mobilité géographique, disponibilité inconditionnelle…) et conséquemment, comment aider les personnes ayant charge d’enfants en bas âge ou soutien de parents âgés ? Comment combattre la mise à l’écart systématique des jeunes mamans dans les plans de carrière ? ]. « On court le risque d’affabulation par oubli de dire, mutisme par oubli d’en parler » et les formations sont là pour ne pas le négliger. C’est d’abord donner la possibilité de nommer chez celui qui suit la formation, et avec lui, ce que l’entreprise ou la société ne nomme pas ou nomme peu, ce niveau des interdits et tabous de toutes sortes autour des discriminations. V. FRANCHI (2002) donne l’exemple, en Afrique du Sud, des priorités de réconciliation entre groupes maintenus ségrégués. L’enjeu est bien de fournir les moyens d’analyser ses propres stratégies défensives, de réduire les affects négatifs de la relation au travail résultant d’un « racisme latent » de l’identité et des lectures du monde, et d’interroger, au final, les pratiques et les contenus d’enseignements de l’idéologie raciste de l’apartheid. Nous touchons là à l’effet « dérangeant » pour les puissants, mais nécessaire, des formations « au caractère de ce qui est autre », dont l’apport essentiel est d’aider à pointer certaines auto-discriminations difficilement observables comme le sentiment récurrent d’infériorité intériorisé par les « minoritaires » ou les « dominés », les « laisser pour compte à l’occasion d’une promotion». En cela, les publics cibles de la formation interculturelle en entreprise sont, à la fois, les personnes discriminées et les discriminants potentiels, chacun pouvant potentiellement être dans les deux situations…

Prouver est bien une deuxième étape qui consiste à tenter de ne plus appréhender les autres à partir de nos catégories mentales pour déconstruire les normes et en montrer les rapports sous-jacents de pouvoir et de domination parfois librement consentie. C’est aussi ici le niveau du recours devant la justice qui s’attache aux faits et non aux seules intentions. Sans recours possible, pourquoi agirais-je autrement que par la résignation ou le refus révolté ?
Il est ainsi démontré [M. ALLAL – 2000] que la dynamique discriminatoire, qui trouve son origine dans le jugement a priori d’un employeur par exemple sur les capacités productives d’un candidat, est alimentée ensuite par certaines aptitudes réelles testées ou observées de facto (problèmes d’expression, de revenus, de transports quotidiens et de disponibilité…). Cette pérennisation des représentations négatives se fonde généralement sur la difficulté et le coût de la preuve de la discrimination, le caractère non chiffrable, « anecdotique » ou systémique, du fait discriminatoire et le soupçon à l’égard des victimes qui ne savent ou ne peuvent pas toujours témoigner. Les sujets finissent par se conformer aux attentes des autres- fussent-elles réductrices – et par ne pas investir dans la mise en valeur de leurs propres ressources. Ces attitudes d’autocensure des victimes de discrimination vont avoir, en boucle, des répercussions sur leurs aptitudes et venir confirmer les représentations négatives des employeurs et autres collègues…

Ainsi, la lutte contre les discriminations doit en revenir aux causes, aux bonnes ou mauvaises raisons d’agir de chacun. Comment mieux comprendre les demandes d’un salarié qui serait le premier à vouloir pratiquer le ramadan dans son entreprise ? Comment évaluer, sanctionner ou autoriser un salarié qui refuse de toucher de l’alcool, au nom de ses convictions, alors que sa mission consiste à préparer les plateaux repas pour les voyageurs à l’aéroport ? Quels arguments et moyens donner à un directeur d’établissement d’une maison de retraite face à des familles racistes qui ne veulent pas d’un contact physique entre leurs parents âgés et des infirmiers de couleur ? La lutte directe contre le racisme par exemple, réclame de comprendre ce à partir de quoi se meut le raciste. Il en est de même pour la lutte contre les discriminations ethniques ou culturelles, de type systémique, celles qui touchent, pour une large part, à la répétition de « micro-iniquités » insidieuses et souvent juridiquement inattaquables (comme le fait de perpétuer, tous les jours, de mauvaises blagues à un collègue réputé différent des autres par sa couleur de peau ou son orientation sexuelle supposée). Les préjugés peuvent être combattus par la connaissance. Nous avons certainement besoin, en cette matière, de nouvelles formes de description du réel, plus riches, des études de cas issues des pays pauvres, de nouveaux lexiques, de données sur l’histoire des religions et des pratiques cultuelles pour traduire la complexité des formes de discrimination (directe, indirecte, systémique…) [A. EDMUNDSON – 2010] dans plusieurs types d’organisations productives et non limitées, en France par exemple, aux très grandes entreprises et à leurs structures matricielles. Comment favoriser, par la formation notamment, l’auto-déclaration des travailleurs ayant un handicap non visible ? Comment aider des équipes de recrutement à défendre des candidatures qu’elles jugent atypiques et cesser de proposer des candidats toujours susceptibles de plaire au client ou au supérieur hiérarchique et d’exclure de fait des candidats en fonction de préjugés ?

Nous développerons les trois axes suivants dans le prochain numéro de notre lettre.
D’ici là, excellentes Fêtes à tous … et à l’année prochaine !

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