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Management de la diversité : la formation – 4ème et 5ème Parties (Février 2015)

Dernier volet de notre réflexion consacrée au lien entre gestion des ressources humaines, management interculturel et formation.

Quatrième et cinquième phase : Clarifier les fondements d’une action juste en contexte multiculturel

La diversité renvoie à deux problèmes fondamentaux que tout groupe humain rencontre : la question du rapport à l’autre (l’altérité) et la question du vivre ensemble ; c’est le lien complexe entre ces deux volets qui fonde notre intérêt pour le management interculturel et en fait, pour nous, en tant que corps de questionnements tout autant que de principes, un horizon souhaitable des formations dites de gestion de la diversité.
L’enjeu est non de « respecter » la diversité mais inventer une articulation entre unité et diversité, une articulation qui n’est pas cette limite où quelque chose cesse, mais bien, à partir de quoi quelque chose naît et commence à exister. Chercher à fonder un management interculturel, c’est ainsi prendre le risque pour des dirigeants de reconnaître que des personnes issues de pays étrangers s’intègrent mal dans leur organisation (par déficit d’accueil, par manque de formation, par ignorance des mécanismes d’isolement vécus par les cadres mobiles…), que des personnels méritants sont injustement sanctionnés et victimes de violence ou de souffrances au travail. C’est finalement accepter de reconnaître des manques et des échecs alors que les dirigeants évoluent dans un contexte médiatique où le lien est trop vite fait entre valeur actionnariale et mesures de court terme voulant préserver coûte que coûte une bonne « image employeur ».
Le management interculturel invite donc, dans le domaine de la gestion de la diversité, non seulement à ne pas produire des formations « hors sol », élaborées hors du contexte historique et social de l’entreprise dont les membres sont formés, mais à questionner les ordres établis. Nous nous situons ici pleinement dans la perspective d’un management interculturel qui pointe aussi les dangers du transfert autocratique des modèle de gestion entre siège et filiales, entre pays puissants et pays supposés sous-développés (trop souvent victimes d’un tropisme anglo-saxon ou plus largement occidental).

Au-delà des simples formations, la perspective interculturelle du management devrait déboucher dans l’entreprise sur la création d’espaces de délibération qui ne se contentent pas de laisser en l’état des structures sociales « injustes », mais qui permettent de changer la distribution des ressources et de la parole. Ces espaces pourraient donner naissance à des comités consacrés aux questions de la gestion de la diversité, qui agiraient en complémentarité avec les structures paritaires existantes. S’intéressant aux pratiques de management situées culturellement et à leur déploiement dans le cadre de rapprochement d’entreprises (fusions, joint-ventures…), dans celui de la gestion de personnes mobiles (expatriés et impatriés et leurs familles) et des équipes multiculturelles diversifiées, la discipline du management interculturel part du constat que chacun en entreprise peut s’appuyer sur un principe de justice extérieur qui lui permet souvent de se soustraire au modèle de justice dont dépend la situation dans laquelle il se trouve engagé.
Dans les cas de la négociation et la coopération entre partenaires de cultures différentes, de l’intégration des expatriés à l’étranger, le management interculturel permet de sortir des explications du social par le seul rapport de force, les seuls intérêts égoïstes où chacun se méfie de l’autre et campe sur son « quant à soi ». De ce fait, l’enjeu d’une formation interculturelle est de constituer un lieu d’échange et de réflexion de chacun sur son propre parcours, un lieu où les différences culturelles ou identitaires peuvent s’exprimer sans être étouffées. Ce cadre conduit à construire ces séminaires permettant de rendre compte des articulations entre des domaines disciplinaires mêlant différentes traditions intellectuelles et de gestion. Construit en cycles progressifs, un programme de ce type apporte différents éclairages sur le « pourquoi faire », le « quoi faire » et le « comment faire » dont les réponses peuvent varier selon les cultures d’appartenance ou de référence des partenaires.
On sait que les processus de construction identitaire sont de nature différente des processus de socialisation culturelle. On en arrivera à mieux comprendre pourquoi, face aux autres et avec les autres au travail, c’est d’abord dans l’existence de liens sociaux, qui donnent davantage que ce qui est prévu par le contrat de travail, que s’échangent des outils de travail ou des services et même des contenus émotionnels et que les partenaires sont placés dans une réciprocité de droits et de devoirs qui les amène à se comporter comme s’ils étaient mutuellement « endettés ». Plus que l’on ne le voit notamment dans les entreprises occidentales, être rationnel, c’est en contexte multiculturel, d’abord et avant tout être relationnel. Avec les « pairs » comme avec les « pères », le lien vaut plus que le bien (matériel, procédurier, formel…).
Au-delà du contrat de travail, de la description de poste, il y a un plaisir à échanger et même à communier, un plaisir souvent bien supérieur au bénéfice matériel de l’échange formel (pointons ici dans les domaines de la communication interculturelle, des questionnements tout à fait stimulants sur des NTIC, du travail à distance, des visioconférences, des portables de toutes sortes… qui posent de manière renouvelée la question de la construction de confiance avec un autrui « à distance », virtualisé, non incarné…). Et aussi le plaisir d’exister à plusieurs, un plaisir « interculturel », de célébrer l’existence d’un niveau collectif qui est celui du métier comme fonds culturel et managérial partagé. Il suffit, pour s’en convaincre de penser à la mobilisation lors de catastrophes naturelles de certains salariés qui vont au-delà de leurs limites comme dans le cas de l’engagement des électriciens en 1999 face à la tempête ou, à rebours, aux limites du taylorisme et du « just in time » qui visent à supprimer les « temps morts ». Le management interculturel nous rappelle que dans l’entreprise qui vit le déploiement international de ses activités et qui fait vivre des mouvements de personnel, les rapports quotidiens mettent en scène des partenaires marqués par leurs appartenances à des pays, des groupes, des entreprises absorbées et que se négocie donc, dans ces circonstances et par le truchement de biens matériels ou de services échangés, des signes et des valeurs d’appartenance.
Face à un contexte de négociation des identités et des affiliations culturelles, les formations à l’intelligence de l’autre ont sans doute plus d’affinité avec la palabre à l’africaine ou la recherche de consensus néerlandais qu’avec les règles de la dissertation à la française.
Pour se déployer, les coopérations multiculturelles doivent respecter plusieurs temps et admettre quelquefois des retours en arrière, des échanges davantage liés aux relations entre les gens, aux phénomènes de catégorisation qu’à des modèles intrapsychiques. Cela revient aussi à une formation à la relativité des choses.

Dans la visée idéale des formations à la diversité, les personnes du groupe ne cherchent pas à avoir raison ou à imposer un point de vue à tout prix pour affirmer leur force et leur droit. On co-établit les règles du jeu et on en co-assure le respect. Une réciprocité forte devrait idéalement s’établir quand les participants osent être vrais, vulnérables humbles, lorsqu’ils sortent des fonctionnements mécaniques. Lorsque la gratitude l’emporte, celle qui va au-delà de la confiance, « le collectif en tant que lieu de l’égalité l’emporte sur l’individuel en tant que lieu de la différence ».
Un des enseignements du management interculturel est que précisément, la gratitude consiste à tenir compte de l’autre, renforcer des liens de soutien mutuel où l’on n’est jamais quitte, contrairement à ce qui se passe dans un « commerce » classique.
Un autre enseignement du management interculturel, est d’intégrer dans son approche des relations aux autres le caractère multidimensionnel des constructions identitaires. Il permet ainsi de prendre en compte le fait que toutes les formes de discriminations ne se ressemblent pas et qu’ils n’admettent pas le même organisateur du social qui consiste fréquemment à couper en deux (citoyen de souche/immigrés et descendants d’immigrés, indigènes/colonisateurs…).

Conclusion : pour un management interculturel afin de développer une culture de la reconnaissance mutuelle qui ne gomme pas les rapports de pouvoir et les sources d’inégalités.

Ces lignes ont proposé une réflexion autour d’un triptyque (lutte contre les discriminations, gestion de la diversité et management interculturel) dont les organisations pourraient se saisir pour définir des cadres propices à des actions efficaces de formation et de développement de compétences. Partageant les lignes de tensions mises en évidence par J. F. CHANLAT et S. DAMERON (2009), entre diversité et universalité, diversité et performance, nous mesurons combien à elle seule, la gestion de la diversité ne garantit pas qu’un système soit juste. Elle peut même servir d’alibi pour légitimer, au travers d’une répartition prétendument objective des inégalités, qu’un système social, une administration publique ou une entreprise privée, soient injustes sous couvert de bonnes intentions ou de spectaculaires effets d’affichages.

Dans ces conditions, la démarche qui a été proposée ici vise à se démarquer des pratiques mimétiques relatives à l’essor de la catégorie managériale de la seule diversité qui atteste trop souvent, à nos yeux, du ralliement des grandes et moyennes entreprises françaises à un modèle managérial déjà fortement institutionnalisé dans plusieurs pays anglo-saxons.
Celui-ci peut conduire à commettre des erreurs : refouler les clés d’explication de la lutte contre les discriminations qui pourtant pointe utilement mécanismes réels de mise à l’écart ou de racisme ou encore surestimer la question ethno-raciale au profit d’autres logiques catégorielles comme celles relatives à l’âge, le sexe ou le handicap. Notre démarche prône l’existence de formations où la logique de la justice par le droit (lutte contre les discriminations) ne tende pas à s’effacer au profit d’une rhétorique de l’intérêt économique (gestion de la diversité) qui s’arrange pour gommer les rapports de pouvoir en entreprise entre groupes majoritaires et minoritaires et considère comme systématiquement plus performant le fonctionnement d’équipes diversifiées sans prendre en compte la variable du temps nécessaire pour établir la confiance entre ses membres.

Au final, le paradoxe de tout travail de formation – et qui plus est à la diversité ou à l’interculturalité – revient à accepter l’autre comme il est et à lui offrir la possibilité de devenir différent de ce qu’il paraît, voire de ce qu’il croit être. L’ambition de toute formation à « l’intelligence de l’autre » devrait être de toujours « sublimer les différences entre les individus plutôt que de les cultiver ». Les formations, à elles seules, ne suffisent pas ; face à la multiplication des revendications identitaires et culturelles dans un contexte de globalisation des économies, les entreprises auront toujours besoin de syndicats, en premier lieu, des associations et de tiers extérieurs, pour révéler les discriminations, en faire prendre conscience aux dirigeants et managers, ainsi qu’à la collectivité toute entière, pour les faire condamner en justice et faire respecter le droit avant d’éventuels labels qui s’en distingueraient. De véritables formations à « l’intelligence de l’autre » devraient donc poursuivre le but de repérer des régularités de comportements (mais pas des liens mécaniques), là où un observateur peu scrupuleux pourrait attribuer pour toujours à l’appartenance à un groupe humain, enfermant ainsi ses collègues dans les filets de l’identité unique. Plutôt que de vouloir institutionnaliser toutes différences, en sacraliser parfois l’existence, ces formations consistent normalement à établir un entre-deux à construire ensemble. Sans cela, nulle communication ne peut s’établir, nulle coopération véritable ne peut voir le jour.

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