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MANAGER DANS UN UNIVERS COMPLEXE – 1ère partie (Novembre 2018)

La mutation du monde actuel, dont la très médiatique mondialisation, semble faire de la complexité la caractéristique par excellence de l’environnement managérial. En effet, aujourd’hui, les dirigeants sont appelés à structurer des univers de moins en moins codifiés : les changements sont de plus en plus dictés par l’environnement extérieur, et souvent, ceux-ci à peine entamés, force est de constater qu’un événement imprévisible en modifie le sens (la survenance des « crises financières » impromptues en est l’un des exemples tout à fait révélateurs).
La prise de décision, exercice quotidien et essentiel du manager, face à la multitude croissante de données et de contraintes, ne peut donc se faire sans la prise en compte de la complexité et de la diversité des situations.
Dans le même temps, le management des équipes doit privilégier, nous l’avons développé dans nombre de nos lettres précédentes, la réactivité, la souplesse, l’implication, sans négliger le contrôle !
Le management dans un univers complexe est donc aujourd’hui l’une des composantes essentielles de la fonction de dirigeant et ce à divers niveaux : établissement de la stratégie, pilotage de l’activité et, en termes de management humain, partage de la vision, recrutement des équipes, motivation, communication interpersonnelle…
Nous allons explorer, au cours de ce numéro de notre lettre et des deux suivants, cet univers du management à l’aune de la complexité, en nous focalisant, ce mois-ci, sur la définition de cette notion.

« Complication » ou « complexité » ?

Pas un mois sans que ne soit employé l’un ou l’autre de ces mots dans les media, dans les discours politiques, dans les livres de management… Mais ces deux terminologies, parfois utilisées sans distinction l’une de l’autre, méritent que l’on les précise davantage. Car, pour définir le « complexe », il est nécessaire de mettre en perspective cette notion avec son « cousin », le « compliqué ».

Qu’en est-il donc de leur définition d’une part, et de leur étymologie d’autre part ?
Le Larousse définit le compliqué comme « ce qui est difficile à comprendre », et le complexe comme « ce qui comporte des éléments qu’il est difficile de démêler ». Du côté de l’étymologie, « compliqué » (du latin cum plicare, plier ensemble) signifie qu’il faut du temps et du talent pour comprendre l’objet d’étude ; « complexus », quant à lui, signifie « ce qui est tissé ensemble », dans un enchevêtrement d’éléments liés entre eux.

Cela tend à dire que, autant le « compliqué » peut trouver des solutions dans un mode de raisonnement linéaire souvent adopté par les théories classiques de résolution de problème, autant gérer la complexité fait appel à d’autres ressources, la plupart du temps multiples ; ainsi, l’étude de la complexité ne peut être qu’interdisciplinaire, mais c’est dans le domaine de la science que celle-ci a d’abord été déployée, avant d’être étendue à celui des sciences humaines.

Le « compliqué » et le « complexe »

La notion de « système complexe »

Alexandre Bogdanov pose les bases de la théorie générale des systèmes dès 1917 dans son traité de « Tectologie ». Il décrit ainsi comme un système complexe un « ensemble constitué d’un grand nombre d’entités en interaction qui empêchent l’observateur de prévoir sa rétroaction, son comportement ou son évolution par le calcul ».

Tenter de comprendre les systèmes complexes, c‘est donc s’extraire de la pensée analytique de Descartes dans laquelle nous avons été éduqués : c’est l’une des difficultés soulevées par les personnes confrontées à la complexité, puisque malgré une connaissance parfaite des composants élémentaires d’un système, voire de leurs interactions, il n’est pas possible même en théorie de prévoir son comportement autrement que par l’expérience ou la simulation.

Complexité et sciences de l’information

La théorie de la complexité est, à l’origine, un domaine des mathématiques ayant pour but de chercher à comprendre les processus par lesquels les phénomènes complexes et irréguliers, impossibles à modéliser par des équations prédictives solvables, peuvent réaliser un aspect d’ordre.

Mise en lumière en 1936 par le mathématicien Alan Turing, le « père » de l’informatique, cette théorie étudie la résolution de ce type de problèmes grâce à un modèle de calcul faisant appel aux algorithmes ; car au-delà du nombre d’éléments à prendre en compte (que Claude Riveline nommera plus tard la complexité d’abondance), c’est le fait qu’ils s’influencent les uns les autres qui nécessite de procéder de la sorte.

Les travaux de Turing ont ouvert la voie à la théorie algorithmique de l’information et à l’explosion de l’informatique et de l’intelligence artificielle telle que nous les connaissons aujourd’hui.

Sur les traces de Turing, la théorie de la complexité de Kolmogorov, nommée aussi complexité aléatoire, ou complexité algorithmique, vient compléter ces travaux en définissant la complexité d’un objet fini par la taille du plus petit programme informatique qui permet de produire cet objet.

Complexité et biologie

Le système biologique nous apparaît aujourd’hui de manière évidente comme un système complexe puisqu’il présente une interconnexion, une rétroaction et une récursivité de ses éléments, caractéristiques principales dudit système (que nous développerons le mois prochain avec « La pensée complexe » d’Edgar Morin).
En effet, que ce soient des cellules, des organes ou une colonie de fourmis, nous observons là autant de systèmes complexes car le seul moyen de connaître leur évolution est d’utiliser un processus expérimental, éventuellement sur un modèle réduit.
Mais c’est à l’origine Ludvig von Bertalanffy, biologiste autrichien, qui a mis en lumière dès 1937 ces éléments, et c’est donc lui qui le fondateur de la Théorie systémique liée à la biologie.

Henri Atlan a largement contribué lui aussi à l’avancée des travaux dans ce domaine, et peut être considéré également comme l’un des pionniers des théories de la complexité et de l‘auto-organisation du vivant. A la fois biologiste et philosophe, il fait le lien entre les théories scientifiques de la complexité, et certaines questions de société plus spécifiquement traitées par les chercheurs en sciences humaines.

A partir des démarches scientifiques que nous venons d’évoquer et du pont créé par Henri Atlan, nombre de penseurs et chercheurs ont démontré à leur tour que l’organisation des groupes humains peut parfois, elle aussi, être qualifiée de « complexe ».

C’est à partir de ces travaux que nous observerons le mois prochain comment la complexité intervient au niveau de l’entreprise.

Rendez-vous en décembre !

Références :

  • Alan Turing (1937). « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungs problem », Proceedings of the London Mathematical Society.
  • Claude Riveline (1991). « De l’urgence en gestion ». En qûete de Théories. Annales des Mines
  • Ludvig von Bertalanffy (1973). « General System Theory ». Dunod
  • Henri Atlan (1972). « L’Organisation biologique et la Théorie de l’information ». Editions Hermann

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