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MANAGER DANS UN UNIVERS COMPLEXE – 4ème partie Les solutions possibles (Février 2019)

Nous l’avons démontré dans nos précédents numéros, notre monde économique actuel est touché de plein fouet par la complexité, et ce dans différents registres de celui-ci.

Les organisations qui évoluent dans ce monde, au premier rang desquelles les entreprises, sont bien sûr particulièrement impactées, et il revient au manager d’assurer la bonne marche des missions qui lui incombent en menant son équipe vers l’objectif. Il s’agit donc pour lui de gérer à la fois la complexité de l’environnement, de l’entreprise elle-même et des hommes qui composent son équipe. Vaste programme !

Grâce aux différents éléments analysés dans nos précédents numéros, nous pouvons entrevoir quelques pistes permettant d’aider le manager à appréhender à la complexité dans laquelle il évolue, pistes que nous vous proposons ici.

Se positionner en leader

Être porteur de sens

Pour nombre d’auteurs, le manager doit, face à la complexité, se centrer davantage sur le sens – c’est-à-dire le pour quoi (en deux mots) – plutôt que sur la tâche et les objectifs, et accepter les « désordres et errements organisationnels » (Geneviève Mattéi) comme des « processus normaux d’ajustement » plus que comme des « problèmes à régler et à éradiquer ».

Plus concrètement, porter le sens, cela revient à intégrer trois clés du management de l’entreprise que sont :

  • Le sens, comme compréhension,
  • Le sens, comme orientation,
  • Le sens, comme vecteur de l’action.

Manager, c’est donc agir en cohérence à partir de ces trois notions. Face à un univers complexe, qui apparait comme éminemment incohérent, le management doit se centrer sur le développement de relations de cohérence entre les acteurs de l’entreprise et leur environnement. On voit alors que c’est la finalité de l’entreprise, sa « vocation » qui devient le référent commun autour duquel doivent se structurer les cohérences.

Partager la vision

Ce sont les différentes strates managériales qui doivent être en charge de traduire et transmettre le sens, le mettre en cohérence et « partager la vision ».

Malheureusement, le déploiement de la vision en entreprise prend souvent un aspect « incantatoire », passant par la communication institutionnelle de celle-ci. Bénédicte Daudé et Christine Noël vont jusqu’à affirmer que les valeurs affichées, comme le fameux « mettre l’humain au cœur du système », semblent parfois en dissonance avec les stratégies déployées. Il faut rappeler que la complexification de l’environnement, à la fois géographique et temporelle, provoque et amplifie ce paradoxe : il n’est pas toujours aisé, lorsque l’on doit faire face à l’imprévisible ou à des menaces réelles ou supposées, de ne pas se focaliser uniquement sur l’hyper compétitivité et la performance financière, au détriment parfois des aspects humains…

En effet, communiquer le sens ne réside pas dans le seul fait de le montrer ou de le représenter ; il convient d’en faire la démonstration au travers des situations vécues.

Il s’agira donc ici de traduire le sens dans les différents registres couverts par le quotidien des intéressés, langage employé, relations interpersonnelles, opérations. C’est par les mises en situation que les dirigeants peuvent développer l’entreprise cohérente et que les managers peuvent y tenir leur vrai rôle.

Favoriser l’autonomie

Répondre à la complexité, cela peut être aussi prendre en compte la « capacité à agir dans des situations marquées par la multiplicité des parties prenantes » (Benoît Journé, Amaury Grimaud, Lionel Garreau). Cela peut se traduire par une certaine preuve d’humilité, à l’opposé des sciences de gestion classiques qui « prétendent dire le vrai…jusqu’à ce qu’une nouvelle mode managériale chasse l’autre ». Ainsi, pourquoi ne pas adopter une « vision moins héroïque » de l’action humaine et relativiser la « figure du leader omniscient » ?

Cela est confirmé par le fait que le manager est entouré par des personnes parfois plus compétentes que lui dans tel ou tel domaine technique. Et plus l’univers de l’entreprise se complexifie, moins le dirigeant pourra prétendre avoir toutes les clés ; son rôle sera de plus en plus de mettre en cohérence (encore une fois !) toutes les parties-prenantes, en favorisant la synergie.

C’est en cela qu’il pourra répondre à l’une des caractéristiques des systèmes complexes, le principe systémique ou organisationnel (que nous avons abordé dans notre numéro de décembre 2018), qui démontre que le « tout est plus que la somme des parties ».

Modifier les interactions au sein et en dehors de l’équipe

Développer la confiance…

Pour répondre aux désordres causés par la complexité, les entreprises ont tendance à mettre en œuvre encore plus de process, de reportings, de contrôle, se rapprochant ainsi des structures bureaucratiques dont elles voudraient se démarquer ! Or, nous avons vu plus haut que la réponse à la complexité ne peut passer par des schémas « cartésiens » linéaires et préétablis, car au final, cette forme de « coercition » n’engendre que de très médiocres résultats.

Pour François DUPUY, la confiance, abordée aujourd’hui de manière individuelle – certaines personnes auraient cette qualité et d’autres non – doit donc être perçue de façon systémique : l’absence de règles, tout comme a contrario le trop-plein de règles, n’engendrent pas la confiance. La solution viendrait d’une définition des règles et des modes de fonctionnement par les acteurs eux-mêmes, selon une « trilogie systémique : confiance, pouvoir, éthique ».

L’organisation, l’information, le recrutement, la rémunération, l’évaluation, la gestion, tout peut être reconsidéré dans cette optique aux fins de diriger l’entreprise cohérente.

Encourager la coopération

A l’instar de l’affirmation de Gilles Le Cardinal, Jean-François Guyonnet et Bruno Pouzoullic, le manager du XXIème siècle, grâce la confiance et au-delà de celle-ci, doit encourager la coopération entre les parties prenantes du système. Selon ces auteurs, les compétences-clés du manager deviennent ainsi des qualités de « fédérateur d’énergies », privilégiant la coopération à la confrontation.

Encore une fois, la coopération ne se décrète pas mais se vit au quotidien.

Inspiré entre autres par Abraham Zaleznik, le modèle des « stades de développement du manager » développé par Vincent Lenhardt met en lumière l’importance de la coopération au sein de l’équipe : face à la complexité, il faudra à certains moments que le manager se montre compétent dans le métier – ce qui lui permettra de prendre et faire appliquer des décisions très rapidement et d’asseoir sa légitimité – , à d’autre moments gérer le processus de management – et ainsi favoriser les relations au sein de son équipe – , et enfin donner le « sens » – et intégrer à la fois les enjeux de l’entreprise, l’autonomie de ses collaborateurs et la coopération entre eux.

Tout cela encore une fois à condition d’agir en cohérence au travers d’une vision partagée.

…Et recadrer juste

Confiance et coopération ne peuvent pas à elles seules éviter les dysfonctionnements. Or, le manque de performance d’un subordonné induit habituellement chez son manager une recherche des « causes » ayant entraîné ce dysfonctionnement. Ce processus risque dans ce cas de le faire passer à côté d’éléments déterminants, et dans un monde complexe, cette posture ne suffira plus.

Il conviendra donc, d’après Christophe Estay, Chandrashekhar Lakshman, Zahir Yanat, de privilégier de la part du manager une approche « attributionnelle » complexe plus objective, prenant en compte à la fois la dimension interne et externe du dysfonctionnement (causes inhérentes au collaborateur, mais aussi éléments environnementaux ou interrelationnels).

La mission même du manager lui demande d’être en mesure de faire à son collaborateur des retours objectifs ; la perception que celui-ci aura de la légitimité de son manager est en grande partie liée à la justesse de ces feedbacks. Encore plus : la reconnaissance perçue par le collaborateur est elle aussi fonction de la capacité qu’aura son manager de lui indiquer ce qui va et ce qui ne va pas (rien n’est pire que l’absence de retour, assimilée à de l’indifférence).

Multiplier et fluidifier les feedbacks au sein de l’équipe permettra donc non seulement de répondre la « soif » de reconnaissance révélée par Eric Berne, mais aussi de rejoindre la hiérarchisation des besoins fondamentaux des individus dans leur travail (la fameuse « pyramide »), mise en lumière par Abraham Maslow, dans laquelle la réponse au besoin de reconnaissance apparaît, chez la plupart des individus, comme fondamental.

Se pose ici la question du recrutement et de la formation des managers, qui devront être en capacité d’adresser à leurs collaborateurs ces signes de reconnaissance « de qualité », c’est-à-dire formulés de la manière la plus ajustée et objective possible.

Accompagner le changement

« Participer au processus de changement est la meilleure manière de se prémunir d’une évolution dont chacun peut se sentir, éventuellement, la victime » : voici la principale préconisation de Jacques-Antoine Malarewicz en termes d’accompagnement du changement.

Autrement dit, manager dans un univers complexe, et donc être confronté en permanence aux mouvances et autres mutations, ne peut se faire sans intégrer complètement les équipes aux changements dont elles devront être porteuses.

Mais pour aller plus loin, et en lien avec ce que nous avons exposé plus haut, il y a deux manières pour le dirigeant de comprendre le changement :

  • Soit comme un développement des modalités d’application dans un sens déjà établi (changement de niveau 1 dans lequel l’on parlera davantage de « conduite du changement ») ;
  • Soit comme un changement de sens (changement de niveau 2 en lien avec les grandes mutations disruptives auxquelles de plus en plus d’entreprises doivent faire face) : il s’agira dans ce cas et encore une fois d’agir en cohérence et dans l’alignement Sens – Vocation – Ambition – Valeurs – Priorités – Plan d’action.

Face à la complexité, il nous apparaît primordial de passer par la deuxième voie, par laquelle le dirigeant pourra non seulement « gérer », mais plutôt « accompagner » au mieux le changement – le passage par l’outil, dont les incontournables « techniques de conduite du changement », ne pouvant s’exonérer de mise en cohérence avec le sens.

Modifier la prise de décision

Faire preuve d’inventivité

Face à la complexité des organisations de travail caractérisée en premier lieu par l’incertitude qui domine les situations et les actions, Jean Vannereau affirme que les managers d’aujourd’hui doivent faire preuve d’inventivité, être ce qu’il est convenu d’appeler « open mind ». Ainsi, ils sont amenés à s’écarter parfois des savoir-faire préconisés par les modèles managériaux en vigueur, le manager « idéal » brossé par ces théories se trouvant bien loin du réel vécu par les intéressés.

Cette piste de l’inventivité reste donc l’une des clés permettant de faire face à la complexité, puisque de toutes les façons les modèles linéaires prédéfinis proposent rarement des réponses adéquates.

Penser autrement la stratégie

Face à la complexité, la mise en œuvre stratégique traditionnelle « prévision-planification-programmation » trouve rapidement ses limites. Elle doit privilégier plutôt, d’après Alain-Charles Martinet, un réajustement de la pensée, un renversement de perspective, un raisonnement de l’aller-retour, global voire fusionnel, qui s’appuiera sur le plein usage des deux cortex : cerveau gauche pour le raisonnement logique et linéaire, et cerveau droit pour la mise en perspective de différents points de vue, la créativité, l’interactivité, la globalisation. Ce dernier, siège d’une pensée intuitive et holistique, devient, de la sorte, particulièrement intéressant, l’entreprise étant le siège de « logiques antagonistes » que ce type de pensée permet de mieux appréhender.

Elle demandera également de disposer d’une réelle culture, « qui refuse des modèles (et des modes) », aidant ainsi à aborder les problématiques avec « ouverture », « tolérance » et « esprit critique ». Le modèle Strategy-as-Practice, où la stratégie est appréhendée comme une construction basée sur les activités courantes des hommes qui constituent l’entreprise, peut être une piste intéressante.

Laisser émerger les solutions

La réponse serait donc de s’ouvrir à d’autres perspectives, portées par exemple par les membres de l’équipe, à l’instar de Steve Jobs qui affirmait : « Ça n’a pas de sens d’embaucher des gens intelligents puis de leur dire quoi faire. Nous embauchons des gens intelligents afin qu’ils puissent nous dire ce qu’il faut faire. »

On est alors bien loin de la figure actuelle du dirigeant, souvent considéré comme une « personnalité hors du commun, capable de tout faire, tout embrasser…et affirmer une présence forte dans le quotidien… » (Maurice Thévenet).

Mais attention cependant à ne pas confondre hétérogénéité d’un groupe et créativité, car la richesse des différences peut être contrebalancée par des blocages de communication tels que l’inhibition ou l’agressivité. Il a été montré en effet par E.J. Hall et W.H. Watson que « l’hétérogénéité du groupe favorise sa créativité pour autant que les conflits sociocognitifs soient explicitement pris en compte et régulés dans la situation ».

Laisser émerger les solutions, certes, mais en créant les conditions favorables…

La question du management intergénérationnel

Impossible de ne pas évoquer cette question, souvent abordée dans la littérature : les fameuses générations Y et Z – et l’on nous annonce maintenant la génération K…– qui seraient si difficiles à manager ?

Mais quelles sont au juste les caractéristiques de ces générations ? Elles préfèrent exprimer leur individualité dans le collectif, ont nécessité à interagir et communiquer, sont connectées en permanence, ont l’habitude d’accéder et de traiter une information abondante et immédiatement accessible, doivent ou devront trouver des solutions nouvelles pour traiter les défis du présent et de l’avenir…Ces générations ne détiendraient-elles donc pas là les clés pour répondre à la complexité ?

Il nous semble pour notre part que les solutions pour manager ces nouveaux collaborateurs ne sont pas si différentes, et s’inscrivent complètement dans les pistes évoquées précédemment : porter le sens, partager la vision, favoriser l’autonomie, développer la confiance, encourager la coopération, recadrer « juste », accompagner le changement, faire preuve d’inventivité, penser autrement la stratégie, laisser émerger les solutions…

A la condition de mettre en place un mode de management plus en lien avec la gestion de la complexité, ce doit être, à notre sens, une chance que de les intégrer à nos équipes !

CONCLUSION :

Quelles compétences pour les managers du XXIème siècle ?

Nous avons donc exploré, au cours de ces derniers numéros, la complexité du monde de l’entreprise et la nécessité pour le dirigeant du XXIème siècle de faire évoluer sa posture, en intégrant « l’élément humain » (William Schutz) à différents niveaux.

En effet, pour prendre l’exemple de Stephen Covey dans « The seven habits of highly effective people », si l’on souhaite que la poule produise de magnifiques œufs d’or, il convient de s’occuper de celle-ci avant de s’occuper de ses œufs.

Il s’agira donc de mettre en avant des compétences de type « savoir-être », qui viendront compléter, sans les remplacer, les compétences plus classiques attribuées traditionnellement à un dirigeant. Le recrutement, la formation et l’accompagnement des managers doivent impérativement aller dans cette direction.

Références :

  • Geneviève Mattei (2005). « Sur le management à l’épreuve de la complexité et du paradoxe ou les avatars du management scientifique et technocratique ». Revue de la jurisprudence commerciale
  • Bénédicte Daudé et Christine Noël (2006). « La Responsabilité sociale de l’entreprise analysée selon le paradigme de la complexité ». Revue Management et Avenir
  • Benoît Journé, Amaury Grimaud, Lionel Garreau (2012). « Face à la complexité : Illusions, audaces, humilités ». Revue française de gestion
  • François DUPUY (2015). « La faillite de la pensée managériale ». Editions du Seuil
  • Gilles Le Cardinal, Jean-François Guyonnet et Bruno Pouzoullic (1995). « Management de la coopération dans les systèmes complexes ». Revue Communication et Organisation
  • Abraham Zaleznik (1977). « Managers and Leaders are they different? ». Harvard Business Review
  • Vincent Lenhardt (1996). « Oser la confiance ». Editions Insep Consulting.
  • Christophe Estay, Chandrashekhar Lakshman, Zahir Yanat (2014). « Complexité attributionnelle et exactitude des attributions : appréciations du modèle d’attribution du leadership ». Revue Recherches en Sciences de Gestion
  • Eric Berne. (1972). « Que dites-vous après avoir dit bonjour ? ». Editions Tchou
  • Abraham Maslow (1943). « Une théorie de la motivation ». Psychological Review
  • Jacques-Antoine Malarewicz (2000). « Systémique et entreprise ». Editions Village Mondial
  • Jean Vannereau (2016). « L’invention managériale : une compétence cardinale pour les situations organisationnelles complexes ». EPTO Volume 17
  • Alain-Charles Martinet (1993). « Stratégie et pensée complexe ». Revue française de gestion
  • Maurice Thévenet (2008). « Le management ; pourquoi j’échoue ? ». Eyrolles, Editions d’Organisation
  • E.J Hall et W. H. Watson (1970). « The effects of normative intervention on group decision-making performance ». Editions Human relations
  • William Schutz (2006). « L’élément humain ; comprendre le lien entre estime de soi, confiance et performance ». InterEditions
  • Stephen Covey (1989). «The seven habits of highly effective people». Editions Fireside

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