Pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté, nous n’avons pu faire paraître notre lettre au mois de février 2016. Nous reprenons donc ici notre étude sur le thème : « Personnalité, caractère, identité, attitude, comportement… Une nécessaire clarification ! ». Nous vous prions de bien vouloir nous excuser de ce contretemps…
La personnalité des individus se construit en grande partie à travers les interactions sociales. Il convient donc d’analyser quelques mécanismes fondamentaux du champ social. Ce dernier se manifeste à la fois sous la forme de sociétés (par exemple, la société occidentale, la société française) ou sous forme de groupes, plus restreints et plus clairement délimités (par exemple un club, une organisation, une amicale d’anciens élèves). Les mécanismes que nous allons décrire dans ces lignes concernent l’ensemble des formes du champ social.
Nous traiterons successivement ici :
La connaissance, même approximative, des appartenances identitaires d’un individu permet de prévoir une partie importante des attitudes et des comportements qui s’y rattachent. Si l’on fait le lien entre l’identité sociale et les attitudes d’un individu et que l’on s’intéresse à ce qu’il fait ou ne fait pas, nous parlerons le plus souvent de ses « conduites sociales ».
L’identité sociale d’un individu est liée à la conscience qu’il a d’appartenir à un groupe.
Cette appartenance à un groupe implique une situation émotionnelle et évaluative.
L’appartenance à un groupe fournit à l’individu les points de repère qui lui permettent de se référer a ce groupe, de se comparer et de valider à la fois ses modes de pensée, ses attitudes et ses opinions. La norme personnelle est alors fonction de la norme sociale et recouvre ce que l’entourage estime qu’il est bien de faire ; elle est pondérée par le désir qu’a l’individu de suivre la norme du groupe.
Il faut souligner ici qu’un individu appartient simultanément à plusieurs groupes sociaux, par exemple sa famille, son milieu social, sa communauté religieuse, son université, son entreprise, son service. Ainsi, il est préférable de parler d’identités sociales au pluriel sachant que les impacts de ces différentes appartenances entrent en interaction pour produire des attitudes complexes, difficiles à analyser par les acteurs eux-mêmes.
L’identité professionnelle n’est qu’un cas particulier de l’identité sociale. Selon les individus, elle se constitue plutôt autour d’un métier ou d’une organisation donnée. Aujourd’hui, on dit que l’identité professionnelle est en crise dans la mesure ou les organisations ne peuvent plus promettre d’identité stable et ou les métiers sont moins pérennes qu’ils ne le furent…
Un groupe ou une société ne peuvent fonctionner que si des éléments fondamentaux créent un lien entre les individus membres. Pour entrer en société, ou devenir membre d’un groupe, l’individu passe par une phase de socialisation qui lui permet de revêtir les caractéristiques de cette société ou de ce groupe.
Le concept de socialisation recouvre un champ extrêmement vaste qui se caractérise par son interdisciplinarité ; c’est la convergence de trois perspectives complémentaires – sociologique, anthropologique et psychologique – qui a permis la construction et l’élaboration de ce concept.
Quelle qu’en soit la perspective, la socialisation s’explique traditionnellement par deux types d’analyses qui s’opposent : d’une part, celle du conditionnement, qui considère l’individu comme « agi » et, d’autre part, celle ou l’individu est « acteur », en interaction avec son milieu social.
La première conception présente la socialisation presque comme du dressage. Dans un processus coercitif unilatéral, l’individu est assujetti aux déterminismes sociaux, quelques éléments fondamentaux du champ social l’amenant à intérioriser les valeurs et les normes de la société. Les études sur la socialisation sont bien souvent comparatives : il s’agit de comparer les valeurs des sujets avec celles des membres d’un même groupe. Lorsqu’on détecte une corrélation, la tendance à conclure à une action causale mécanique des structures sociales sur l’intériorisation des valeurs est forte.
A ce paradigme du conditionnement, on oppose celui des interactions, largement utilisé par J. Piaget ; la socialisation dépend d’une part du développement des structures cognitives, d’autre part de la nature du système d’interactions dans lequel l’individu est inséré. Ainsi, dans la perspective de la psychologie cognitiviste, Piaget insiste sur le caractère progressif de la socialisation de la pensée, sous l’effet de la coopération et de la discussion.
Notons qu’en psychologie sociale, la socialisation compte trois types de fonctions :
La socialisation a souvent été décrite comme un phénomène nettement plus contraignant. Processus d’assimilation des individus aux groupes, la socialisation a alors trois fonctions principales :
La transmission des valeurs, des modèles et des connaissances du milieu social auquel on appartient débute à la naissance et se poursuit tout au long de la vie. Le processus d’adaptation, au sein d’un groupe ou d’une société, correspond alors à une acceptation des valeurs, de l’idéologie et des croyances du groupe ; cette acceptation permet d’interpréter le monde selon une certaine forme de personnalité culturelle.
Ces trois fonctions montrent tout le poids de la socialisation sur la formation de la personne. Etre conscient de ce phénomène permet de comprendre des attitudes et des conduites propres à l’appartenance à certains groupes. Il est donc important que le manager sache à quels groupes appartiennent ses collaborateurs, de façon à pouvoir mieux comprendre leurs comportements et leurs conduites sociales.
On a souvent tendance à penser que tout se joue dans l’enfance et que, sa personnalité une fois constituée, l’individu se présente comme porteur d’une structure établie et peu modifiable par l’organisation dans laquelle il travaille. D’où l’importance accordée au processus de recrutement qui doit favoriser des choix sans appel.
Pourtant, l’organisation est un groupe particulier, si bien que l’appartenance à une organisation donnée jouera sur l’identité de l’individu ; elle constitue une appartenance de plus qui va orienter la perception et normaliser les comportements via des valeurs, une culture et des pratiques particulières. De plus, le travail est un lieu où se jouent de nombreux éléments, contributifs ou limitatifs, qui peuvent avoir une influence sur la personnalité.
Nous aborderons deux points essentiels :
L’organisation est un lieu où l’identité s’exprime mais où elle continue fortement à se constituer. En effet, le travail est un acte de projection de soi qui permet d’en savoir plus sur ses réactions, ses gouts, mais surtout sur l’image que l’on projette. Dans la mesure où le travail représente aujourd’hui le lieu principal de réalisation de soi, il a pris une place prépondérante dans la constitution d’une image de soi et d’une identité liée à la fois à ce que l’on fait, mais aussi aux milieux que l’on fréquente, et à l’entreprise ou l’organisation dans laquelle on travaille.
SAINSAULIEU montre même que selon l’origine sociale et éducative des individus, ceux-ci vont pouvoir plus ou moins « user » de leurs diverses situations de travail pour se développer… dans un sens ou dans l’autre ! Ainsi, le monde des organisations perpétue ce que la société a initié en dotant davantage ceux qui ont déjà beaucoup d’atouts et de manière plus limitée ceux qui en sont moins pourvus.
Un professionnel reconnu pour sa valeur a aujourd’hui de grandes chances d’être doté d’une identité très positive, avec une image favorable de soi qui lui permettra d’avoir confiance et de réussir plus de choses, dans et hors de l’organisation. Quelqu’un qui arrive au contraire dans une organisation avec une identité de non conformiste aura du mal à se sentir à l’aise dans cette organisation, n’y rencontrera pas beaucoup d’occasions de renforcer son image de soi et son pouvoir réel, si bien qu’il en ressortira peut-être avec une confirmation de la faiblesse de sa place dans la société.
L’organisation peut donc être ainsi considérée comme un lieu de renforcement positif ou négatif d’identités sociales plus ou moins élevées dans la hiérarchie de valeurs. C’est un point important à prendre en compte lorsqu’on essaie, par exemple, de motiver par l’espoir d’une promotion des collaborateurs qui ne peuvent pas y croire !
Pour continuer dans cette perspective, le travail et en particulier le travail au sein d’une organisation peut être l’occasion de développer sa personnalité. Un individu entrant dans une organisation avec une faible estime de soi, peut, graduellement, au fil des succès professionnels, la renforcer et développer de nouveaux comportements qui vont l’amener à une évolution, y compris dans son fonctionnement psychique.
A contrario, il ne faut pas oublier que les organisations sont aussi sources de souffrances et de destruction de certaines personnalités. En effet, tant par le temps qu’elles représentent que par l’impact symbolique qu’elles ont sur les personnes, des expériences malheureuses de travail peuvent s’insinuer dans le fonctionnement psychique des personnes et leur nuire durablement.
On peut distinguer deux sortes principales de nuisances psychiques :
On comprend ainsi le potentiel d’évolution ou de risques majeurs qu’induisent les interactions entre organisations et individus !