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Le syndrome d’épuisement professionnel ou « burnout » – 2ème Partie: causes, manifestations et identification (Juillet et aôut 2012)

 

TROIS FORMES D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL … OU DAVANTAGE !

D’après Christine Färber dans une publication de 2000, les individus ne sont plus atteints par la forme traditionnelle du syndrome d’épuisement professionnel, celle dans laquelle la poursuite utopique de buts élevés socialement significatifs se heurtait à la résistance d’un environnement de travail qui anéantit les espoirs professionnels : « le syndrome d’épuisement professionnel qui prévaut aujourd’hui est marqué par le fait que les individus ont une multitude d’obligations, des pressions externes croissantes, des exigences grandissantes de la part des autres, une limitation des possibilités de s’engager et des salaires qui ne compensent que partiellement les efforts fournis. ».

Il existerait donc trois espèces d’épuisement professionnel :

  1. le burnout-épuisement dans lequel l’individu, soit abandonne, soit fait parfaitement son travail, mais se trouve confronté à trop de stress et à trop peu de gratifications ;
  2. le burnout classique ou frénétique dans lequel l’individu travaille de plus en plus dur, jusqu’à l’épuisement, à la poursuite de gratifications ou d’accomplissement pour compenser l’étendue du stress ressenti ;
  3. le burnout néfaste contraste, lui, avec les deux précédents ; Il apparaît non pas à cause de tensions excessives, mais à cause de conditions de travail monotones et peu stimulantes.

C’est donc une erreur de considérer le syndrome d’épuisement professionnel sous une seule forme. Les recherches sur les liens entre justice perçue et syndrome d’épuisement professionnel apportent indirectement appui à cette hypothèse. Par exemple, le fait de trouver des degrés élevés de burnout à la fois chez les médecins qui jugent trop fort leur investissement auprès des patients et chez des médecins qui le jugent trop faible corrobore bien l’idée que le syndrome d’épuisement professionnel est multiforme. Il est difficilement concevable que les sur-investisseurs et les sous-investisseurs ressentent le même type d’épuisement professionnel. C’est un enjeu des travaux actuels que d’identifier les états et processus qui contribuent aux diverses formes du syndrome d’épuisement professionnel.

Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), un tiers des travailleurs européens se plaignent de problèmes de santé liés à un travail stressant. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les trois pays où les dépressions liées au travail étaient les plus nombreuses en 2010 sont :

  1. les États-Unis,
  2. l’Ukraine,
  3. la France.

Ce phénomène a d’abord été repéré dans des professions d’aide, de soins ou de formation. Une étude réalisée en France estime en effet que le coût direct et indirect du stress peut être évalué entre 830 000 K€ et 1 656 000 K€ par an, ce qui équivaut à 10 à 20 % du budget de la branche accidents du travail / maladies professionnelles de la Sécurité sociale.

Causes d’épuisement professionnel d’après le modèle de recherche de Carol Cordes et Thomas Dougherty

Les variables génératrices du syndrome d’épuisement professionnel se situent schématiquement à trois niveaux : organisationnel, interindividuel et intra individuel.

    • NIVEAU ORGANISATIONNEL

On étudie ici l’influence du contenu de l’activité et celle du contexte dans lequel elle se déroule.

La surcharge de travail, le rythme des tâches à effectuer, la pression du temps, les horaires longs, imprévisibles, un travail monotone, peu stimulant, avec des procédures standardisées, sont des exemples de variables reflétant le contenu de l’activité. Un des processus majeurs qui sous-tend leur lien avec le syndrome d’épuisement professionnel est l’impossibilité de contrôler son activité. Mais les chercheurs se sont sans doute plus intéressés au contexte du travail. Des rôles mal définis, contradictoires, l’isolement et le manque de soutien social, le conflit entre vie familiale et vie professionnelle, l’insécurité, sont corrélés avec une ou plusieurs dimensions du syndrome d’épuisement professionnel. Les formes et les menaces nouvelles du travail sont de plus en plus prises en compte. Cependant, les variables étudiées se situent plus à un niveau micro-organisationnel ou microsocial, au détriment des analyses macro-organisationnelles ou macrosociales, qui prennent en compte la structure de l’institution, l’organisation hiérarchique, le style de management, etc. Cette orientation s’explique de deux façons. D’abord, les travaux sont dominés par des théories locales, qui cherchent à expliquer un nombre restreint de phénomènes avec un nombre limité de variables, plus faciles à opérationnaliser et à étudier. Ensuite, les entreprises montrent peu d’empressement à laisser le chercheur s’interroger sur l’influence du mode de management sur la santé des employés. Certaines entreprises prônent même la gestion des ressources humaines par le stress.

    • NIVEAU INTERINDIVIDUEL

À ce niveau, c’est principalement l’effet de relations déséquilibrées, injustes, des conflits, mais aussi du soutien social ou de son absence qui est étudié. Étant donné le nombre élevé des emplois de services où les relations avec autrui sont capitales, ces variables sont importantes. La théorie de l’équité, celles du support social et de l’affiliation fournissent à ce niveau des grilles de lecture pertinentes.

    • NIVEAU INTRA INDIVIDUEL

Les chercheurs déploient beaucoup d’efforts pour identifier la part des variables de personnalité, ce qui tend à particulariser le syndrome d’épuisement professionnel et risque d’en faire un problème à particulariser et à traiter individuellement, en rejetant ses causes organisationnelles et sa dimension sociale et collective. Ceci s’explique en partie par l’influence qu’exerce actuellement le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman. D’après ce modèle, les caractéristiques individuelles jouent un rôle essentiel dans l’émergence de la réaction de stress. L’évaluation d’un stresseur (comme une tâche supplémentaire à réaliser, des horaires de travail qui changent, une organisation de travail différente, etc.) varie d’un individu à l’autre. Certains peuvent y voir un défi permettant d’exercer leurs compétences, d’autres ne retiennent que la menace. En outre, les caractéristiques individuelles agissent sur les capacités de faire face à ces exigences, sur les ressources que l’individu cherche à mobiliser. Certains se sentent plus aptes que d’autres à contrôler la situation, à mobiliser le soutien de leurs collègues et à utiliser ce support efficacement.

Au niveau individuel, on s’intéresse aussi à la sphère attitudinale, notamment aux attentes des individus, ou à l’écart entre attentes et réalité de travail. Les variables sociodémographiques sont également prises en compte, lorsqu’on étudie les différences entre hommes et femmes, l’influence de l’âge, du sexe ou du statut matrimonial. Il va sans dire que, quel que soit le niveau d’analyse, on recherche les facteurs qui déclenchent le processus de burnout, mais aussi ceux qui freinent sa progression. Les ressources disponibles ralentissent l’évolution du processus.

MANIFESTATIONS ET CONSEQUENCES

Wilmar Schaufeli et Robert Enzmann dressent la liste des symptômes du syndrome d’épuisement professionnel. Ils en dénombrent cent-trente-deux, mais préviennent qu’en réalité, « la plupart de ces symptômes proviennent d’observations cliniques incontrôlées ou d’interviews analysées de façon impressionniste et non-spécifiée plutôt que d’études quantitatives conçues rigoureusement et conduites précisément. » Autrement dit, nombre de ces symptômes ont été repérés quand ont démarré les premières recherches. La liste des symptômes mis à jour par des études empiriques solides est allongée du fait de l’existence de plusieurs formes d’épuisement professionnel, chacune pouvant s’exprimer à travers des manifestations spécifiques. De plus, le syndrome d’épuisement professionnel étant un processus, il est susceptible de s’exprimer différemment au cours de son développement chez le même individu, selon sa phase d’évolution. Il n’est pas toujours aisé de séparer clairement les symptômes et les conséquences du syndrome d’épuisement professionnel.

Certains auteurs emploient l’expression « symptômes du burnout » pour faire référence au trois dimensions du MBI : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et l’accomplissement personnel réduit. Mais Arie Shirom considère que l’accomplissement personnel est une conséquence du syndrome d’épuisement professionnel. Pour Wilmar Schaufeli par contre, « faire une distinction entre symptômes et conséquences du burnout revient à dresser une ligne arbitraire. »

La classification de Carol Cordes et Thomas Dougherty distingue cinq catégories :

    1. Physique
    2. Émotionnelle
    3. Interpersonnelle
    4. Attitudinale
    5. Comportementale

Elles s’observent au niveau de l’individu, des interactions sociales et de l’organisation du travail.

    • DIMENSION PHYSIQUE ET EMOTIONNELLE

Les atteintes psychologiques et physiques montrent à quel point le syndrome d’épuisement professionnel peut être destructeur. Le sentiment de fatigue, d’épuisement, de sensation d’être « vidé », est le symptôme le plus typique. Les individus atteints d’un degré élevé d’épuisement professionnel ont davantage de troubles du sommeil et une plus grande fatigue au réveil. La fatigue liée au syndrome d’épuisement professionnel n’est pas celle que l’on éprouve temporairement et qui disparaît après une période de repos. Il s’agit d’une fatigue chronique.

Le syndrome d’épuisement professionnel se manifeste aussi par des troubles somatiques. Une étude longitudinale menée par Jacob Wolpin auprès de deux cent quarante-cinq enseignants canadiens montre que l’apparition des symptômes somatiques ne peut être prédite qu’un an après l’apparition du syndrome lui-même. Arie Shirom trouve des résultats semblables auprès d’enseignants israéliens.

Le syndrome d’épuisement professionnel est associé à des douleurs ou plaintes symptomatiques tels que :

    • maux de ventre,
    • douleurs musculo-squelettiques, en particulier le mal de dos,
    • désordres psychosomatiques tels qu’ulcères et troubles gastro-intestinaux dans certains cas,
    • manifestations classiques du stress associées à des manifestations de transpiration ou d’angoisse, etc.,
    • réduction des défenses immunitaires,
    • suivis de rhume prolongé.

Des patients atteints d’épuisement professionnel ont, par rapport à un groupe contrôle, un rythme cardiaque plus élevé au repos. Des études longitudinales signalent, chez ceux qui ont un syndrome d’épuisement professionnel aigu, une élévation du niveau de cholestérol, de triglycéride, de l’acide urique et des anomalies de l’électrocardiogramme. Le syndrome d’épuisement professionnel est associé à des taux de cortisol plus élevé durant la journée de travail. Il provoque aussi des inflammations conduisant à l’athérome. Il peut conduire également au diabète de type 2. Ces modifications biochimiques exposent à des risques cardio-vasculaires.

    • DIMENSION ATTITUDINALE ET COMPORTEMENTALE

L’enseignement est une profession touchée par le syndrome d’épuisement professionnel.

Les manifestations comportementales du syndrome d’épuisement professionnel sont variées. On les observe tant au niveau de l’individu, de ses relations, que de l’environnement de travail.

  • Au niveau de l’individu

Si le syndrome d’épuisement professionnel s’accompagne, dans sa phase préliminaire, d’une période de grande activité, avec éventuellement des pratiques sportives, il est associé à une mauvaise hygiène de vie. Dans une recherche menée auprès de médecins français, Susan Jackson a découvert un lien significatif entre l’épuisement émotionnel et la consommation d’alcool. La même association est observée auprès de groupes professionnels variés, comme des dentistes, des employés de services sociaux ou des opérateurs de transit urbain.

Plus généralement, on trouve une diminution des ressources psychologiques :

  • chute de l’estime de soi ;
  • état de tristesse ;
  • désespoir ;
  • anxiété.

Blake Ashforth montre auprès de managers d’un service social que l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation sont suivis d’un sentiment d’impuissance. Des troubles cognitifs font également partie de ces manifestations.

  • Au niveau de la vie privée

Les effets du syndrome d’épuisement professionnel débordent sur la vie privée. Contredisant l’idée que travail et vie privée sont des sphères séparées et autonomes, ce syndrome a des répercussions sur la sphère familiale et plus généralement sociale. Dans ses premiers comptes rendus d’observation, Christina Maslach note que le syndrome d’épuisement professionnel engendre des divorces. Au sein du couple, l’épuisement professionnel du mari, provoqué par des menaces de restructuration et de réduction d’effectifs, a un effet direct sur les tensions avec son épouse et accroît les comportements et attitudes négatives envers elle. Dans une étude menée auprès de cent-quarante-deux couples, Ayala Pines et Christina Maslach trouvent que non seulement ceux atteints d’épuisement professionnel tendent à s’isoler de leurs amis, mais leur conjoint indique qu’ils ou elles se comportent avec leurs enfants de façon « professionnelle ».

Lors d’une étude poussée sur mille huit cent cinquante cas de syndrome d’épuisement professionnel avérés, Yeor Etzion révèle un taux « anormalement inquiétant » de suicide chez les personnes atteintes de ce syndrome.

  • Au niveau de la vie professionnelle

Le syndrome d’épuisement professionnel contribue à augmenter l’insatisfaction au travail et à diminuer l’engagement. Des études longitudinales révèlent que les personnes atteintes d’épuisement professionnel sont moins impliquées et ont davantage l’intention de quitter leurs emplois que les autres. Chez des enseignants suivis plusieurs mois, l’épuisement émotionnel mesuré par le MBI prédit non seulement les intentions de quitter le travail, mais aussi le fait de le quitter effectivement.

Le syndrome d’épuisement professionnel contribue à la détérioration des relations entre collègues, mais aussi avec les clients, élèves et patients. Les médecins à l’épuisement professionnel élevé répondent moins aux questions des patients, les négligent davantage (ils ne discutent pas des différentes options de traitement par exemple), et commettent des erreurs qu’on ne peut attribuer à leurs manques de connaissances ou d’expérience.

Prendre une décision s’avère coûteux pour l’individu épuisé émotionnellement. La dépersonnalisation ou le cynisme conduisent à prendre des décisions plus impersonnelles, voire stigmatisantes. Jacques Languirand a mené des recherches afin de tester explicitement l’impact du syndrome d’épuisement professionnel sur les prises de décisions. Les hypothèses ont été testées à partir de situations simulées où les participants devaient réagir à un cas fictif de client ou de patient. Minirth montre que des travailleurs sociaux d’un service de protection de l’enfance, face au cas d’un enfant en danger, prennent des décisions plus rapidement, et y restent fermement attachés s’ils ressentent de l’épuisement professionnel. Il montre également que des médecins généralistes qui ont un degré élevé d’épuisement émotionnel prennent, vis-à-vis d’une patiente, des décisions moins coûteuses en temps, en énergie et en investissements futurs. Ce phénomène est d’autant plus accentué que cette patiente est non compliante, ainsi « Le burnout définit une véritable pathologie sociale et nous avertit des dangers qui guettent le monde du travail ».

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