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Management humain et complexité (Juillet et Août 2010)

 

Pendant très longtemps, la pâte humaine a été la plus invariante, quasi figée dans des valeurs, des comportements, une sociologie à évolution lente. Les DRH et la GRH étaient à son image, assez conservatrice. Les pâtes technologiques, économiques, financières ou commerciales étaient, elles, bien plus vivantes et leurs ferments accaparaient souvent tous les talents créatifs de l’entreprise.

Les choses ont bien changé sous la pression du phénomène « COMPLEXITE » générant deux facteurs de mutation principaux.

Le premier est l’entrée de la GRH dans une logique de pénurie : il manque cruellement, et de plus en plus, de gens compétents et talentueux. Aujourd’hui, on peut considérer que le nombre d’emplois durablement non pourvus atteint 25 à 30% du nombre des chômeurs réels et que, dès 2015, ces deux nombres seront égaux. Cette pénurie touche tous les métiers, tant intellectuels que manuels, tant industriels qu’artisanaux. Du fait de cette pénurie généralisée  et de notre entrée massive dans une société de la connaissance et une économie de l’immatériel, donc de la matière grise, la « ressource humaine » devient et deviendra de plus en plus la ressource stratégique de l’entreprise, au point qu’elle échappera aux DRH pour devenir un souci prioritaire des directions générales.

Le second facteur de mutation est l’émergence, dans le cercle des gens les plus compétents et les plus talentueux, de comportements mutants liés à la révolution numérique. Pour ces « mutants », l’autonomie au travail et l’accomplissement de soi sont les maîtres mots : ce sont des nomades bien plus intéressés par la qualité de vie au travail que par les gros revenus. Le processus les concerne bien plus que ses résultats : ils sont nettement plus sensibles à la passion d’un métier qu’aux performances et objectifs quantitatifs.

Face à ces mutations profondes, la GRH doit forcément devenir innovante et créative. Elle n’a pas le choix.

Quatre principaux axes de réflexion s’imposent à l’évolution de la GRH :

  1. La logique de pénurie des talents et compétences induit une inversion des marchés de l’emploi : ce ne sont plus les employeurs qui choisiront leurs employés vedettes, mais l’inverse. Les DRH devront apprendre à séduire et présenter l’entreprise non comme une « machine à fric », mais comme un projet de passion et une aventure humaine. Produire des dividendes pour des actionnaires anonymes n’est évidemment mobilisant pour personne. La vocation de l’entreprise n’est ni de servir des rentes financières à ses actionnaires, ni de fournir des rentes sécuritaires à ses salariés.
  2. La qualité de vie au travail (qui s’assimile au « wellness management » anglais) est d’ores et déjà un sujet central. Le stress négatif diminue de 60% la productivité et la créativité des équipes. Tout ce qui engendre ce stress négatif doit être farouchement combattu : mauvais aménagement des lieux de travail, horaires inadaptés, carence de sérénité des dirigeants, conflits d’intérêts et de compétences, guerres des baronnies, manque de confort physique et mental, pressions logistiques de la vie privée, etc. Lieu et activité ont divorcé. Le travail se fait de plus en plus hors du lieu classique de travail. Le nomadisme devient la norme. Avec l’inexorable montée des coûts de tous les transports, le travail à domicile sera majoritaire : on ne viendra « à la boîte » que lorsque ce sera absolument nécessaire. Autrement écrit : télétravail, téléconférence, vidéoconférence seront la règle. 73% de nos contemporains travaillent exclusivement sur de l’information et il est infiniment plus coûteux de transporter 70 kilogrammes de chair humaine que 70 téraoctets d’information. Ajoutons que l’homme est un animal asocial qui, au titre de son cerveau reptilien et dès qu’il en a les moyens, fuit la promiscuité de ses semblables.
  3. Parallèlement, valeur et prix ont divorcé. Que valent une idée, un talent, un modèle, un relationnel, une notoriété, un savoir-faire, un tour de main, une ambiance, toutes choses cruciales à nos entreprises mais non mesurables, non quantifiables, non comptabilisables ? Personne ne peut les évaluer : elles « valent » le prix que quelqu’un est prêt à payer pour en bénéficier. Cela signifie, en particulier, que la valeur d’un porteur de talents ou de compétences et son salaire n’ont plus aucune relation de cause à effet entre eux. S’il faut payer un haut salaire à quelqu’un pendant trois mois pour ruminer sur une idée géniale qui jaillira – peut-être – un jour en une seconde, comment parler de rentabilité ?
  4. Enfin, le moteur essentiel de la vie au travail sera, de plus en plus, l’accomplissement de soi. Pénurie oblige, les gens compétents et talentueux n’auront plus jamais de problèmes pour trouver du travail au salaire qu’ils voudront. Leur problème n’est plus là. Leur problème est leur accomplissement professionnel personnel et rien d’autre. Ils collaboreront à l’entreprise pour autant et tant que celle-ci sera porteuse d’un projet collectif en convergence avec leur projet de vie personnel. Sinon, ils s’en iront voir ailleurs. La gestion permanente de la meilleure convergence entre projet collectif et projets individuels sera la colonne vertébrale de la GRH de demain.

Le métier du DRH et de la GRH doit être totalement redéfini pour se concentrer sur l’essentiel : la gestion des talents internes, la gestion des potentiels humains en termes de ces 15% d’effectifs (tous grades hiérarchiques confondus) qui forment l’aristocratie de l’entreprise et qui en sont la locomotive.

Un exemple entre mille : il est impératif de passer d’une gestion des ressources humaines tirée par les fonctions et les organigrammes, à une gestion des potentiels humains tirée par les talents et les compétences. Si un talent passe, capturons-le même si nous ne savons pas exactement qu’en faire : lui, il sait déjà ce qu’il pourra faire pour nous et ce, sans risque financier, puisque les gens talentueux s’autofinancent toujours. Par contre, si pour des raisons budgétaires ou « organigrammiques », nous le laissons s’échapper, il ne reviendra plus jamais.

Quelques conseils concrets ? En vrac, en voici trois :

    • Nos effectifs sont composés de 15% « d’aristocrates », de 23% de « négatifs »  notoires, et de 62% d’indifférents qui viennent pour toucher leur chèque et dont la « vraie vie » est ailleurs. Cessons de gaspiller notre argent, notre temps et notre énergie avec les 23%. Occupons-nous mieux des 15% et de ces (presque) 2/3 d’indifférents qui ne s’intéressent pas à l’entreprise mais qui, tant qu’à faire, préfèrent faire la corvée « travail » en s’amusant. Là sont les gisements de progrès.
    • La loi statistique ci-dessus ne s’applique que lorsque l’effectif est supérieur à 100 (c’est le nombre maximal de relations directes qu’un patron peut gérer en direct ; au-delà, la loi des grands nombres joue et l’effet de charisme personnel s’estompe). Aussi, ne laissons jamais une entité grossir au-delà de cette fatidique centaine. Transformons notre grosse entreprise en un réseau de petites entités autonomes ayant entre 50 et 100 collaborateurs, pas plus.
    • Connaissons bien les projets individuels de vie de nos 15% d’aristocrates et, pour cela, intéressons-nous de près à leurs loisirs, à leurs hobbies, à leurs vacances, à leurs œuvres artistiques ou littéraires, etc.

Notre monde connaît une mutation profonde, en complète rupture avec l’ancien paradigme. Au sein de l’entreprise, au sein de la GRH, le minerai ou l’argent sont des ressources, pas l’homme -, cela induit plus qu’une évolution.

Visitons cette mutation en sept points :

  • Il faut apprendre à gérer des Potentiels (talents et compétences) et non plus des fonctions sur un organigramme : un organigramme est une structure figée incompatible avec la turbulence, la complexité et l’incertitude foncières et croissantes du monde économique.
  • Il faut apprendre à gérer de l’Autonomie au-delà des hiérarchies et des procéduralités, une autonomie dans l’interdépendance mutuelle, une autonomie canalisée par un projet fédérateur commun.
  • Il faut gérer des Partenariats et comprendre que le salariat est une mauvaise formule héritée d’un monde industriel suranné, incompatible avec le travail de l’information et de la connaissance.
  • Il faut apprendre à gérer des Capacités plus que des performances : une entreprise, c’est d’abord la parfaite maîtrise d’un métier, une volonté farouche de s’accomplir et la force intérieure de durer. Les performances – comme le profit – sont des conséquences, pas des buts.
  • Il faut apprendre à gérer de la Créativité plus que de la productivité : demain, l’entreprise vendra ses produits et services bien plus par la qualité et l’innovation que par le prix.
  • Il faut apprendre à gérer par Réseau plus que par hiérarchie : ceux qui détiennent le pouvoir doivent s’effacer devant ceux qui font autorité. C’est celui qui sait qui décide, plus celui qui signe. Un réseau est un ensemble de nœuds autonomes fédérés par un projet commun fort : c’est ce projet qui tient le réseau, pas le pouvoir de quelques uns.
  • Il faut apprendre à gérer la Qualité de vie plus que des rémunérations : l’argent est un facteur d’hygiène, pas de motivation. La lutte contre les sources de stress négatif est bien plus productive que les jeux stériles des promotions hiérarchiques, des augmentations de salaire et des primes de fin d’année.

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